Véronique Lévêque, directrice colocation solidaire Valgiros

Témoignage de Véronique Lévêque, directrice de Valgiros

Véronique Lévêque est directrice de Valgiros. A l’occasion d’un événement de la Fondation Notre Dame, Véronique retrace le parcours de deux accueillis à Valgiros : Neïma et Youri.

La colocation solidaire Valgiros, où vivent 21 personnes accueillies et 9 volontaires, est un centre d’hébergement de stabilisation où travaillent quotidiennement une équipe de deux travailleurs sociaux, sous la responsabilité de Véronique Lévêque. En savoir plus.

 

Retranscription :

Merci de m’accueillir ce soir pour vous partager deux histoires de vie. Ce sont bien deux parcours, deux personnes et non pas des usagers, comme nous pouvons le lire trop souvent dans les textes du secteur social ou médico-social.

Ces deux personnes, vivent ou ont vécu à Valgiros. Valgiros est un Centre d’hébergement de stabilisation (CHS) en colocation solidaire de l’association Aux captifs la libération, accueillant 21 personnes de la rue et 9 bénévoles, jeunes pro ou étudiants. La mixité sociale, la fraternité vécue au quotidien, la communauté et le compagnonnage vécu dans les petites choses du quotidien jouent un rôle fort dans le processus de reconstruction des personnes accueillies.

La colocation solidaire pratique l’accueil avec alcool et la démarche de réduction des risques permettant ainsi de libérer la parole, parler en « comment du bois » et non pas en « combien tu bois », sécuriser les consommations, changer le regard que nous portons sur ces personnes.

L’histoire de Neïma, accueillie à la colocation solidaire Valgiros

Je vous présente Neima. Nous avons accueilli Neima à Valgiros fin novembre dernier, non sans appréhension. Neima est, dans le jargon du secteur social, une femme grande précaire, une grande cassée de la rue, en situation d’errance depuis de nombreuses années. La première rencontre d’Aux captifs, la libération avec Neima a eu lieu en 2008 lors des tournées rues, assurées par des bénévoles. Neima était alors fixée sur une plaque de rue, à la gare du Nord, c’était son territoire dans lequel elle vivait sans aucun accompagnement social, en rupture de droits, sans papiers d’identité, avec ses consommations d’alcool importantes ; à la merci du monde de la rue mais avec une certaine socialisation néanmoins.

Puis l’équipe Maquéro va prendre l’initiative d’aller vers Neima. Cette équipe interdisciplinaire, composée d’un travailleur social, d’une infirmière et d’un psychologue, va à la rencontre des personnes en situation de grande exclusion, rencontrant des problématiques complexes multiformes (addictions, troubles psychiques, pathologies mentales…) et n’exprimant aucune demande d’aide particulière. Pendant quatre mois, l’équipe Maquero ira à mains nues vers Neima deux fois par semaine, la tournée rue continuera aussi une fois par semaine, dans la régularité et la fidélité.

Neima adhère à ces premiers liens et identifie bien les intervenants. Des premières démarches administratives sont entreprises. Ce premier pas vers le droit commun va permettre à l’équipe de mesurer les difficultés de Neima, ses freins, son handicap, ses pathologies psy, son syndrome d’auto-exclusion, son addiction à l’alcool.  Ce furent des moments privilégiés avec Neima. Ils feront émerger chez elle une première demande pour un hébergement et un souhait de se réinscrire dans son histoire.

Vont s’en suivre pendant de longs mois des allers-retours entre des hôtels peu adaptés à son handicap, à sa façon de vivre et sa plaque de rue (8 mises à l’abri au total). L’équipe maintient le lien chaque semaine. Le dernier hôtel dans le 17ème arrondissement a permis une rupture nette avec la gare du Nord et son environnement. Neima exprime alors son souhait « d’un lieu de vie avec des personnes normales ». L’orientation vers Valgiros émerge.

Une première visite est organisée, Neima est souriante mais reste méfiante ; elle observe, scrute, questionne… Patrick, accueilli lui aussi à Valgiros depuis un an et ancien compagnon de rue de Neima, lui fait visiter les lieux. Elle repart, en me remerciant très poliment.

Puis Neima est arrivée le 26 novembre, accompagnée de l’équipe Maquéro et de quelques sacs. Aujourd’hui, Neima est toujours avec nous, c’est un premier défi relevé ! Elle est aimée, d’une grande générosité, entourée. Son handicap physique lui permet de maintenir l’attention autour d’elle. La cohabitation avec ses colocs se passe bien malgré son caractère bien trempé, son vocabulaire fleuri, ses coups de colère et sa tristesse qu’elle nous montre bien souvent. Nous gardons tous en mémoire ses torrents de larmes lors de la messe de Noël célébrée à Valgiros. L’équipe Maquéro garde le lien avec elle en venant la voir régulièrement.

Elle est loin maintenant de sa plaque de rue même si elle me menace régulièrement d’y retourner si je ne lui fiche pas la paix avec sa douche.

Neima a bénéficié et bénéficie d’un accompagnement sur mesure, sur le long terme, dans le respect de son autonomie, en respectant son pouvoir d’agir, dans la fidélité et dans le lien. Elle vient de préparer, de cuisiner avec l’aide de plusieurs personnes autour d’elle le déjeuner table ouverte que nous organisons chaque mardi (vous y êtes tous invités), ce qui était encore impensable il y a quelques mois.

Quels défis pour elle ? Neima doit se maintenir dans ce dynamisme, et nous devons continuer à l’entourer et lui permettre de révéler toutes ces capacités. Nous ne sommes pas dans un projet de vie à proprement dit mais dans de touts petits pas, nous avançons, nous reculons en gardant cette compassion que nous avons pour elle.

Nous sommes tous, déjà, très attachée à elle, mais nous ne sommes pas sa famille, ni ses amis, nous lui voulons du bien mais un jour il faudra nous quitter.

A propos d’Aux captifs, la libération

Avant de vous parler de Youri, un court éclairage sur l’association Aux captifs, la libération, association au plus près des exclus depuis 1981 à travers des tournées rue à mains nues, des permanences d’accueil, des programmes de reconstruction (dynamisation) pouvant faire naitre le projet d’un accompagnement dans un projet de vie individuel. Ce sont environ 3500 personnes rencontrées par an sur les deux pôles (prostitution et précarité) et 1000 personnes accompagnées. C’est aussi, au sein du pôle précarité, le centre d’hébergement Valgiros, une équipe pluridisciplinaire Maquéro, un programme Marcel Olivier (accueil et accompagnement de personnes en difficulté avec leur consommation d’alcool), et le dispositif Hiver Solidaire (paroisses accueillant et hébergeant des personnes sans abri pendant la période hivernale).

Pour le pôle prostitution, des parcours de sortie de prostitution (25 pour l’année 2021, probablement 35 pour l’année en cours), un programme pour la santé des femmes et deux chantiers école permettant à des personnes en situation irrégulière de se former et de travailler. Deux chantiers son proposée ; l’atelier Bosco pour le bâtiment et l’atelier Bakhita pour la couture.

Une démarche stratégique qui se veut synodale (afin de recueillir la parole de tous ceux qui font l’association : les bénévoles, les salariés et les accueillis) a été entreprise le mois dernier. Cette démarche se terminera fin décembre et permettra d’écrire les grandes lignes du projet plan stratégique.

Quels sont les défis de l’association pour demain ?

  • Garder la rencontre au cœur du projet, se développer en restant à taille humaine et en ayant toujours la même qualité d’attention aux personnes ;
  • Les difficultés de recrutement de professionnels du secteur social ;
  • Être toujours capable d’accueillir tous les profils de personne qui arrivent sur notre territoire. Une grande majorité des publics accueillis sont issus d’un parcours migratoire (intra et extra européen), comment les intégrer dans ce travail de lien ?

L’histoire de Youri, accueilli à la colocation solidaire Valgiros

Je vous présente Youri, jovial, blagueur sur cette photo.

J’ai fait la connaissance de Youri à mon arrivée à Valgiros en décembre 2018. Youri était alors une mascotte, connu de tous, et savait très bien en jouer, hébergé ici depuis juin 2014. Il m’a vite fait comprendre que je n’allais pas si rapidement rentrer dans son univers tant nos chemins semblaient éloignés l’un de l’autre. Il était fier de me dire qu’il était l’un des plus anciens résidents de Valgiros, sous-entendu lui savait comment marchait la maison et pas moi.  Il a fallu des mois pour que son regard en coin cesse, ainsi que ses provocations et ses petites phrases toujours bien senties. Il a fallu nous apprivoiser.

Notre première rencontre a vraiment eu lieu en juin 2019 lors d’une sortie en bateau mouche sur la Seine. Youri souffrait déjà depuis de longues années d’un cancer lourd, nécessitant des chimios à répétition (auxquelles il s’y rendait, ou pas…), le laissant fortement amaigri, fatigué et vulnérable. Il était ce jour là en forme et heureux de profiter de ce moment à l’extérieur de Valgiros avec la directrice Versaillaise aimait il à dire.

Ce fut l’occasion d’un vrai échange sur sa vie, son histoire, ses blessures et ses regrets ainsi que l’occasion de me partager l’extraordinaire amitié qu’il entretenait avec Hélène, son ancienne assistante sociale. Celle qui l’a accompagné vers le baptême et à accepter d’être sa marraine. Nous étions dans un vrai moment, que certains appelleront Kairos ou le temps opportun pour notre rencontre.

Youri souffrait de multiples carences affectives et psychologiques, délaissé par sa mère, mis en internat très jeune sans plus aucun lien avec sa famille. Vont s’en suivre une courte période à l’armée, le début de son addiction à l’alcool, des hébergements ponctuels pendant quelques années puis la rue pendant 15 ans. Youri était en situation de grande vulnérabilité dans la rue et victime de violence.

Hébergé par Hiver Solidaire, et reconnu pour son sens du collectif, sa joie et son envie de vivre, un couple de bénévole qui l’accompagnait et qui connaissait Valgiros, a proposé ce lieu de vie pour lui.

S’en suivent 7 ans de joies, de peines, de rendez-vous sociaux, de hauts et de bas avec l’alcool, de coups de gueule mémorables, de rendez-vous médicaux toujours plus nombreux mais aussi de liens, de rencontres, de fêtes (il aimait particulièrement nous rappeler sa date d’anniversaire plusieurs mois en avance).

Je vous propose un court extrait du texte écrit par Hélène, sa marraine lors de son enterrement :

« Youri, c’est l’histoire d’un trésor caché, enfoui. La beauté d’une âme qui demande à aller voir au-delà des apparences pour créér une amitié et se laisser faire sans comprendre, pour lui donner une chance d’exister. Mais pour trouver un trésor il faut creuser, longtemps. Il faut choisir les bons outils. Il faut enlever les mauvaises herbes, puis les pierres et la terre. Y mettre de l’eau pour qu’elle soit plus meuble. Creuser encore. Parfois on creuse tellement qu’on a mal aux mains, on saigne, on pleure parce qu’on trouve des choses qui nous plaisent moins, des bêtes qui nous piquent et nous mordent. Alors on se demande où est le trésor qu’on avait cru voir. Il faut alors retrousser ses manches, être patient, veilleur sur deux cœurs en même temps, le sien et l’autre. Il faut trouver des lumières pour s’éclairer quand on ne voit plus comment avancer et se reposer pour ne pas faiblir. Ne rien lâcher. Et un jour, quand on n’y attend pas, on trouve le trésor. Ou c’est lui qui vous trouve et vous choisit pour vous emmener là où vous ne savez pas. »

L’état de santé de Youri s’est dégradé rapidement, trop rapidement pour organiser sa fin de vie à Valgiros, comme il le souhaitait. Jusqu’au bout, sa chambre d’hôpital n’a pas désempli, bénévoles (anciens ou nouveaux), amis, salariés Captifs, équipe sociale. Une grande chaine d’amour et de prière s’est formé autour de lui. Quelle fidélité dans le temps ! Puis vient la visite d’Hélène, sa marraine tant attendue et son retour vers le Père.

Comme me l’a dit son frère, lors de la préparation des obsèques « les Captifs, vous êtes sa famille, sa vraie famille, vous avez su l’aimer, l’accompagner, le respecter ».

Nous n’étions pas de la même famille, nous n’étions pas amis, nos chemins se sont croisés pendant presque trois ans, chaque jour. C’est peu mais beaucoup à la fois et j’ose le dire : Youri était mon frère en Christ et j’ai réalisé en préparant cette intervention l’émotion que cette rencontre a laissé en moi, la chance que j’ai eu de le rencontrer.

Merci pour votre écoute et votre attention.