Théophile Kaltenbach, Valgiros

Discours d’adieux de Théophile Kaltenbach, volontaire

Théophile Kaltenbach a passé près de deux ans comme volontaire à la colocation solidaire Valgiros. Le soir de son départ, il a souhaité rendre hommage à ses colocs.

Chers colocs,

Valgiros était pour moi un choix par défaut. Je l’ai souvent répété : je suis arrivé ici car il y a deux ans, une autre colocation solidaire m’avait dit non. Qu’est-ce qu’ils ont bien fait ! Avec le recul, je ne peux pas m’empêcher de voir dans cette bifurcation inattendue l’œuvre de la Providence – ou du hasard, si vous voulez. En tout cas, je suis certain que Dieu notre Père y était pour quelque chose.

Merci Seigneur, donc, de m’avoir déposé ici au milieu de vous. Deux ans, ce n’est pas rien, et pour faire le bilan de ma vie ici, je vous propose de vous emmener dans un petit voyage au pays des 5 sens.

  La vue, tout d’abord.

La coloc solidaire Valgiros, c’est un très beau coin de verdure, une belle vue sur la tour Eiffel en franchissant le portail. Au 2e, c’est notre super nouvelle peinture orange si bien assortie à la porte rouge ; c’est l’affiche de Steeve McQueen devant ma chambre vue tous les matins, c’est la vue d’une cuisine toujours propre, brillante et bien rangée, où rien ne traîne.

La cuisine m’offre une transition toute faite vers le toucher, où je n’ai pas beaucoup d’inspiration, si ce n’est la sensation si agréable du doigt qui passe sur une poêle soi-disant propre, et qui ressort prêt à graisser la mécanique la plus grippée. 

  Le goût

Pour le goût, il y a beaucoup à dire. A Valgiros, on mange bien, c’est connu ; pêle-mêle, il faut citer la marmite de Tahar, la cuisine antillaise légère de Maurille, la sauce tomate de Félicia, les tartes aux pommes de Bruno, les pizzas de Benoît, le fondant au chocolat de Ségolène, la cuisine pas du tout compliquée de Marine (sans gluten, sans oignon, sans ail, sans poireaux, sans lactose, j’ai rien oublié ?), les rouleaux de printemps de la directrice, la saucisse mi-cuite de Pierrot, la salade gourmande d’Ahmed, le gigot de Pâques, la raclette de Noël, la cuisine péruvienne de Carlos, les desserts de Gonzague, et les plats en sauce de Fabrice, qui gagne aussi, et de loin, la palme du meilleur pâtissier. Enfin, le plus important : le digestif du 2e étage, où nous avons tour à tour goûté de la poire, du cognac, de la pomme, du calva, de la pêche de vigne, de la mirabelle, de la sapinette, du génépi, du rhum arrangé, et j’ai oublié le reste, vous devinez pourquoi …

  L’odorat

Valgiros, c’est aussi plein d’odeurs très caractéristiques. Deux liées à la nourriture, qui se traduisent toujours par un franc sourire en entrant au 2e étage : celle des pâtes au pesto de Thibault et, évidemment, le riz à l’huile d’olive d’Edouard.

Si l’on exclut la nourriture, olfactivement, Valgiros c’est aussi l’odeur très particulière du couloir au 1er étage, et celle de la javel qui vous prend à la gorge et vous téléporte dans la piscine municipale quand certains font le ménage.

  L’ouïe

Je finis par l’ouïe, sans doute le sens qui va le plus me manquer car j’y range toutes les expressions, exclamations et surnoms que l’on n’entend qu’ici. Pêle-mêle : le « salut les filles » de Youri, le « ça va toujours » de Jean-Lucien, l’accent inimitable de Pierrot, mes surnoms endémiques à Valgiros (Tété, Youphile et Théophilélétrique), le « chef » de Félicia, le rire d’Aïcha, de Patrick et de Thibault, le « Heeeellooooo » de Neïma, le « nardina » de Tahar, la « procédure habituelle », la musique d’Arthur et d’Ahmed, les résolutions d’accod de Thibault le pianiste, le “camembert vicieux” et j’en oublie plein.

Dans les bruits qui vont me manquer, je pense au « bip » caractéristique que font les portes en s’ouvrant et, surtout, le bruit si sec et si doux que fait la balle du babyfoot quand je marque un but. A ce propos, je remets en jeu mon titre de meilleur joueur de baby de la coloc solidaire ; avis aux amateurs, Arthur aime beaucoup être battu.

 

J’ai fini mon voyage au pays des 5 sens ; et pourtant, je n’ai pas dit l’essentiel. Il manque un 6e sens, le plus important, le seul à même de dire la vérité de ce que nous vivons ici : le sens du cœur. C’est seulement avec le cœur que l’on peut bien voir les personnes incroyables et si différentes que l’on rencontre ici. L’équipe sociale, d’abord, de la directrice aux stagiaires en passant par les travailleurs sociaux et les services civiques, dont le dévouement force l’admiration – dévouement parfois poussé jusqu’à l’extrême d’arriver à l’heure au boulot. Merci pour tout ce que nous avons partagé de joies et de moments difficiles, pour votre soutien et tout ce que vous faites pour nous.

C’est encore le sens du cœur qui guide certaines personnes extérieures à se dévouer pour Valgiros : je pense particulièrement à Thi Yen et à sœur Geneviève, qui chacune dans leur mission sont des modèles de fidélité et de patience.

C’est toujours le sens du cœur, souvent éclairé par la foi et entretenu par la prière, qui nous a réunis, chers anciens, actuels ou futurs bénévoles. Bien sûr, les amis bénévoles du 2e étage occupent une place toute spéciale, mais je garde aussi précieusement les souvenirs des complies au 4e et des belles discussions qui s’y sont tenues.

Enfin, c’est seulement avec le cœur que l’on peut essayer de parler de vous et de vous parler, chers colocs. Entre parenthèses, je tiens à vous demander sincèrement pardon pour toutes les fois où je vous ai agacés, énervés, où j’ai manqué de patience et d’amour pour vous. Je reprends le fil ; je me sens chanceux d’avoir vécu avec vous pendant deux ans. Je me sens tout petit devant vos parcours de vie tortueux, parfois difficiles ; votre capacité à vous relever et à continuer à vous battre est un exemple, un modèle pour le jeune homme d’une petite vingtaine d’années que je suis. J’ai l’âge d’être le fils de certains d’entre vous et vous m’avez pourtant accueilli comme l’un des vôtres ; je ne pourrai jamais assez vous remercier.

Chers colocs, je l’ai dit au début, Valgiros était un choix par défaut. Maintenant je sais que pour rien au monde je ne changerais les deux années passées ici … J’étais chez moi, à ma place. J’y ai trouvé des amis, ou encore mieux, des frères et des sœurs car Valgiros est une grande famille. Je pars, plus tôt que ce que j’aurais voulu, mais je vous assure que je garderai tout ce que j’ai vécu ici très près de moi, chevillé au corps, ou plutôt, chevillé au cœur.